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Zéro Déchet Touraine

Charte liberticide et contre-productive: Zéro Déchet Touraine quitte le réseau des groupes locaux Zero Waste France

Vie de l'asso – samedi 24 février 2024

AG ZWF 2019 (image ZWF)

Il est des compagnonnages que l’on croit tellement évidents que l’on peine à imaginer les raisons qui pourraient les briser... C’est pourtant avec tristesse que nous vous annonçons aujourd’hui la fin de la participation de Zéro Déchet Touraine au réseau des groupes locaux de Zero Waste France.

Naissance d’un partenariat

Trois mois à peine après la création de notre association, le 29 avril 2017, nous signions avec Zero Waste France une première convention par laquelle nous rejoignions le réseau d’associations et de collectifs fédérés par l’association nationale. Ce jour-là, nous avions accueilli le temps d’une formation citoyenne deux salariées de ZWF, Manon Cuillé, Chargée de la Mobilisation Citoyenne et Anna Herberichs, Chargée de l’animation du réseau de groupes locaux Zero Waste Zéro Déchet. Au premier étage de La Ressourcerie La Charpentière, Manon et Anna avaient partagé avec nous leur expérience et nous leurs avions présenté nos premiers projets : une idée de composteur innovant, un projet d’achat de broyeur électrique, un lot de pinces à déchets et pourquoi pas un stand mobile ou un triporteur…

En cette belle journée de printemps, les températures étaient fraiches mais l’ambiance était chaleureuse. Depuis, les températures printamnières ont bien augmenté et l’ambiance s’est nettement rafraichie avec ZWF…

2018, premières divergences stratégiques

En mai 2017, ZWF publie un rapport sur la mauvaise politique de gestion des déchets de Mc Donald’s France. Courant 2018, ZWF invite ses GL à organiser un boycott des fast-foods afin de protester contre ce modèle économique et l’absence de tri à la source dans les établissements, en contradiction avec le fameux Décret 5 flux du 10 mars 2016. Cette campagne aboutira, fin 2018 au dépôt de deux plaintes de ZWF contre McDonald’s et contre le KFC de Paris République et à la convocation, le 31 janvier 2019, des dirigeants des principales enseignes de fast-food par Brune Poirson, alors Secrétaire d’Etat du ministère de la Transition écologique. Pour monter son dossier, ZWF a envoyé Thibault Turchet, le juriste de l’association, photographier l’absence de tri en salle et analyser le contenu des poubelles une fois sorties avant d’être collectées. Les plaintes ont probablement été classées sans suite car aucune information publique n’est disponible à leur sujet depuis l’annonce de leur dépôt, le 18 octobre 2018. Depuis, ZWF a également porté plainte contre Adidas, New Balance, Intermarché et Pizza Hut.

Au même moment, en mars 2018, nous abordons le même sujet mais sous un angle très différent : contactés par un entrepreneur franchisé Burger King, Starbuck et Quick qui aimerait améliorer ses pratiques dans le cadre étroit de son modèle économique, nous recrutons un étudiant de l’IUT de Tours afin de réaliser un audit en prévention des déchets dans 3 restaurants. L’audit et le stage de l’étudiant sont entièrement financés par cet entrepreneur qui accepte, sur notre proposition, d’offrir un audit en prévention des déchets à une entreprise adaptée et multi-services (ANRH). Le rapport d’audit, que vous pouvez consulter ici, fait date par son côté novateur : Pour la première fois en France, une méthodologie d’audit en prévention des déchets économique est élaborée et testée en conditions réelles. Contrairement aux autopsies de poubelles à la sauvette et à la lampe frontale de ZWF, nous mettons toutes nos compétences scientifiques au service de ce sujet important. Nous analysons la comptabilité des entreprises auditées, nous rencontrons les salariés et collectons leurs remarques, nous réalisons une analyse comparative coût-qualité des prestataires déchets et bien sûr, nous caractérisons de manière exhaustive tous les gisements de déchets produits par ces entreprises pendant plusieurs semaines. Nous savons que notre rapport est remonté en interne au siège de ces trois entreprises et qu’il a été considéré lors de la redéfinition de la politique déchets d’au moins l’une d’entre elles. Si la vaisselle réutilisable a fait son apparition dans les fast-foods français, nous pensons que c’est aussi un peu grâce à nous.

On voit ici la divergence d’approche qui nous caractérise par rapport à ZWF : nous considérons que nous devons travailler avec tous les acteurs socio-économiques et que si nous ne travaillons pas auprès des plus gros producteurs de déchets afin de trouver des solutions pour réduire les quantités de déchets produites, personne d’autre ne le fera. ZWF considère pour sa part que son rôle est de surveiller, accuser et dénoncer ces acteurs (« name and shame », pratique courante des collectifs et associations environnementalistes) et de plaider auprès des pouvoirs publics afin de renforcer les contraintes qui pèsent sur eux. De notre point de vue, ces deux approches sont complémentaires. Du point de vue de ZWF, elles sont désormais antinomiques.

C’est néanmoins pour partager cette expérience et faire connaître un positionnement stratégique différent que nous sommes montés à Paris en 2018 et en 2019, pour participer à l’assemblée générale de ZWF et aux premières rencontres des Groupes locaux. Pour qui ne l’a jamais découvert, l’esprit « bobo, tiers-lieu, bienveillance et quinoa », typique des milieux environnementalistes urbains est assez divertissant car bien éloigné des vicissitudes du combat écologiste en milieux hostiles. En revanche, nous avons rapidement constaté que le réseau des « GL », qui venait d’être créé, n’était pas égalitaire et que ZWF avait déjà son premier cercle de favoris : des associations qu’elle connaissait un peu mieux que les autres, des personnalités influentes qu’elle aimait mettre en valeur dans les tables-rondes. Or, du premier cercle à l’entre-soi, il n’y a souvent qu’un pas. Autant nous avons beaucoup apprécié les échanges avec les petites associations « provinciales », dont les représentants étaient ouverts et accessibles, autant il nous a été impossible d’aborder le groupe formé par l’équipe de ZWF et de ses champions, à l’exception de Thibault, Manon et Anna, qui nous connaissaient déjà. Nous sommes néanmoins parvenus à nous faire remarquer pour un haut fait d’armes, celui d’avoir réussi à bloquer, avec d'autres assos, un projet de « TMB » (centre de tri mécano-biologique, une technique très décriée consistant à broyer les OMR et à valoriser, à posteriori, la matière organique). Vous pouvez retrouver à ce sujet l’intégralité de l’entrevue houleuse avec Jean-Luc Galliot, alors Vice-Président de Tours Métropole Val de Loire. Mais nous avons aussi senti que notre audit dans les fast-foods dérangeait et que notre façon de travailler avec les acteurs économiques n’était pas partagée.

De retour en Touraine, le nouvel appel de ZWF à un boycott, celui des World Clean-up Days 2018 et 2019, journées mondiales de nettoyages citoyens sponsorisées par des grandes entreprises passe mal et créé des tensions entre nos bénévoles et nos dirigeants. Des bénévoles veulent participer et ne comprennent pas pourquoi on leur interdit de le faire officiellement au nom de ZDT ou de ZWF. La défense de principes ne nuirait-elle pas in fine à l’environnement ?

ZWF publie des rapports et des livres de qualité pendant cette période tels que "Le Scénario Zero Waste 2.0" (2017), "Territoires Zero Waste" (2019) auxquels nous contribuons parfois, sous l'impulsion de sa Directrice, Flore Berlingen. Sur d’autres sujets, comme l’accompagnement d’événements sportifs et culturels, le tri dans l’espace public ou la lutte contre les déchets sauvages, nous constatons rapidement la faiblesse des guides pratiques édités par ZWF. Hormis les aspects juridiques, clairement exposés par l’impeccable Thibault, les analyses de situation y sont superficielles et les solutions un peu simplistes. Nous ne tardons pas à développer nos propres outils d’analyses, à rédiger des rapports très complets (celui sur le festival Terres du son 2017 fait 150 pages…) et à mettre en place nos formations. Nous nous affranchissons sans problème des outils développés par Zero Waste France et des discussions byzantines entre membres de GL sur Loomio. De toutes façons on ne peut pas être partout : on ne peut pas en même temps agir sur le terrain et discuter de la manière d’agir, sur les réseaux sociaux…

Nous aurions peut-être dû, à cette époque, déléguer un bénévole au partage d’expérience avec ZWF et les GL, mais notre temps bénévole était trop précieux et déjà les ressources humaines bien faibles au regard de nos ambitions.

En 2019, nous décidons de faire nos preuves et de grimper rapidement dans la hiérarchie des GL en faisant un peu d’entrisme.

2020, le constat d’une infranchissable distance entre Paris et La Riche

Le premier février 2020 nous organisons à Tours, dans une belle salle sous charpente de l’association Jeunesse et Habitat, une réunion des GL du Centre et de l’Ouest de la France. Sont présents des représentants de Zéro Déchet Angers, Zero Waste Chartres, Zéro Déchet Laval-Mayenne, Zéro Déchet Orléans, Zéro Déchet Poitiers, Nature 18, Zéro Déchet Saumur et Zéro Déchet Pays de Vannes.

Contrairement au modèle parisien, ici chaque GL dispose de temps pour se présenter et décrire ses actions au quotidien. Le tour de table dure une demie-journée ! L’après-midi est consacré à des échanges libres sur 5 thèmes, apparus lors des présentations : les outils de communication, la règlementation, la vie associative (statuts, locaux, bénévolat, salariat…), l’accompagnement d’événements Zéro Déchet et les relations avec les entreprises.

Nous nous quittons avec la ferme intention de nous revoir, tant les échanges ont été nourris et fructueux.

Six semaines plus tard, le gouvernement imposait le premier confinement en raison de la pandémie de COVID-19 et cette seconde rencontre n’a jamais eu lieu.

Votre regard perspicace aura noté qu’aucun représentant de ZWF n’était présent. Ils ont pourtant été sollicités bien en avance, mais ZWF n’a pas jugé bon d’envoyer l’un de ses salariés ni aucun bénévole pour accompagner cette importante réunion. Nous en avons été un peu vexés mais nous avons compris le message subliminal : les initiatives décentralisées et l’autogestion ne seront pas soutenues. Comme souvent, l'entrisme est un échec.

De même, ZWF n’a jamais occupé le siège d’administrateur que nos statuts leur accordaient de plein droit au sein de notre Conseil d’administration, bien que sa nouvelle Chargée de Mobilisation citoyenne habite... en Touraine, signe que notre association n’a jamais vraiment intéressé ZWF.

2020 marque aussi un tournant dans la politique de ZWF vis-à-vis des GL. Flore Berlingen ainsi qu'une bonne partie de son équipe quittent ZWF. Flore pourra ainsi plus librement publier son essai "Recyclage : le grand enfumage" (2020) dans lequel elle règle un certain nombre de comptes avec l'industrie du même nom et souligne la responsablité historique du capitalisme dans la surproduction de déchets. Une nouvelle charte d’engagement des groupes locaux est élaborée et est soumise à notre signature. Nous y découvrons que ZWF recommande aux GL d’adopter un nouveau logo basé sur sa charte graphique qui sera réalisé par ses propres soins. Il est alors prévu que les droits de propriété intellectuelle liés au logo restent la propriété de ZWF et fassent l’objet d’une licence de droits à titre gratuit au bénéfice du GL, valable pour la durée de la coopération.

Autrement dit, ZWF propose de s’approprier l’identité visuelle de ses GL et s’arroge le droit de les en priver en cas de départ du réseau des GL.

Nous flairons tout de suite l’embrouille, mais comme la charte prévoit par ailleurs la possibilité laissée aux GL de conserver ou de créer une identité visuelle différente de celle de ZWF, et de détenir des droits de propriété dessus, nous acceptons de signer cette seconde charte.

2022, le refus de la soumission

Deux ans plus tard, une nouvelle charte est élaborée pour renforcer « les engagements réciproques entre l’association nationale et chaque GL ». Cette troisième convention a fait l’objet d’une consultation via Loomio à laquelle auraient participé une cinquantaine de GL. Nous n’avons pas pris part à ce travail de rédaction, fort occupés que nous étions sur notre territoire pendant cette période compliquée entre années COVID-19, mise en place de nouveaux projets importants, demandes de subventions et réponses à marchés publics. L’eussions-nous fait qu’il n’est pas certain que nous eûmes pu influencer l’orientation très autoritaire de cette charte.

On nous a accordé un mois pour ratifier un texte totalement inacceptable. On y lit notamment :

- « Dans le but d’harmoniser l’image et l’identité du réseau, le logo du groupe local est réalisé et financé par Zero Waste France. (…) L’intégralité des droits de propriété intellectuelle attachés au visuel ainsi créé reste l’entière et pleine propriété de Zero Waste France. ». Impossible donc désormais pour un GL de conserver son identité visuelle et d’en être propriétaire ! La recommandation est devenue obligation.

- « le réseau Zero Waste France s’inscrit dans une démarche inclusive et humaniste et s’associe de fait aux luttes contre toutes formes de discriminations (et notamment les luttes antiracistes, antivalidistes, antixénophobes, décoloniales, féministes, LGBTQIA+, sociales) et soutient la convergence des luttes contre toutes les autres formes de discrimination. (…). [Les valeurs communes du réseau sont] l’indépendance au regard de tout engagement partisan, financier, religieux, syndical ou corporatiste. ». Comment peut-on être pour la convergence des luttes et indépendant de tout engagement partisan ? Il y a là une contradiction qui résulte d’une évidente politisation du mouvement. Remarquons qu'il manque aussi dans cette liste, la lutte contre les discriminations envers les propriétaires de bonnets péruviens.

- « les financements par les acteurs privés du traitement des déchets sont interdits. Les financements par des entreprises privées qui mettent sur le marché des produits jetables ou suremballés et/ou qui exercent un lobbying actif contre des mesures de réduction de déchets sont interdits. Pour les financements issus des autres entreprises privées, une grande vigilance sur des conflits d'intérêt réels ou potentiellement perçus est demandée : le groupe local s’engage à vérifier les intentions du financeur et le cadre de financement proposé (les contreparties demandées notamment). Le financement par des acteurs allant à l’encontre de la démarche Zero Waste peut être problématique vis-à-vis de l’indépendance d’action et de l’image globale du réseau. En cas de doute sur l’éligibilité du financeur, le groupe local adresse le cas à Zero Waste France. » Nous devons pouvoir gérer nos ressources financières nous-mêmes et sans dépendre du bon vouloir de ZWF. Cette disposition est totalement contraire au principe d’indépendance des associations et méconnait la réalité économique du SPGD (Service Public de Gestion des Déchets). Les délégataires ou prestataires du SPGD (« les acteurs privés du traitement des déchets ») peuvent en effet avoir de précieuses ressources mobilisables pour la prévention. Il est contre-productif de s’en priver à cause de la posture dogmatique de ZWF. Par exemple, nous bénéficions actuellement, sans aucune contre-partie ni publicité, d’un coin de hangar prêté par une grande entreprise du secteur des déchets pour y stocker nos éléments de Compostous. Serait-il préférable de stocker notre matériel sur les trottoirs de la Maison du Zéro déchet à Paris ??

- « Il est fortement déconseillé pour une personne élue dans une collectivité de siéger au conseil d'administration du groupe local. Il est interdit aux salarié⋅es d’une structure de traitement des déchets de siéger au conseil d'administration du groupe local (sauf les salarié‧es d'associations à but non lucratif). Si toutefois le manque de bénévoles actifs et les conditions sur leur territoire ne permettent pas de se conformer à cette clause, il est demandé aux groupes locaux d’en informer Zero Waste France. » Il n’est pas acceptable que ZWF limite la liste, déjà très peu étoffée, des personnes volontaires pour intégrer notre CA. A fortiori, se priver arbitrairement d'élus ou de professionnels du secteur des déchets est un non-sens, dans la mesure où ces personnes disposent de précieuses compétences techniques, d’un regard différent sur la question des déchets et que si elles rejoignent le CA d’une association comme ZDT, c’est peut-être justement parce qu’elles viennent y trouver ce que leur job ou leur mandat ne leur permet pas de dire ou de faire. Nous avons déjà eu ces types de profils au CA: avez-vous remarqué le moindre infléchissement ou complaisance dans nos propos et dans nos actions ? Que craint ZWF à édicter de tels oukazes ? Que nous soyons moins sectaires qu'elle ?

- « Les groupes locaux ne doivent pas associer leur image aux acteurs économiques responsables des destructions environnementales et du réchauffement climatique (en apposant par exemple leur logo à côté de celui desdits acteurs) ». Du coup pas de logo ZDT sur une affiche ayant le logo de n’importe quelle banque française ? Pas de logo sur notre Citroën Jumpy ? Ils sont au courant chez ZWF que près de 95% de l’économie française est carbonée et que toute activité industrielle ou commerciale engendre inévitablement des petites ou grandes modifications environnementales ?

Au vu de ces articles liberticides et contre-productifs, vous comprendrez qu’il nous était impossible de signer cette convention.

Nous avons tenté depuis 2022 de négocier un statut d’exception pour notre association ou d’amender la charte. Nos propositions ont été refusées par ZWF.

Nous en avons pris acte et nous avons donc quitté sans regret, au début du mois, le réseau des GL de ZWF afin de préserver notre indépendance et notre spécificité. Zéro Déchet Touraine continuera néanmoins à adhérer à ZWF et nous vous encourageons à le faire à titre individuel, ne serait-ce que pour pouvoir aller à en AG à Paris afin de questionner ces pratiques préoccupantes et cette dérive autoritaire de Zero Waste France.

Nous avons déjà rejoint de nouveaux réseaux : Graine Centre (le réseau régional des animateurs environnement), le Réseau Vrac et Réemploi, le Réseau Compost citoyen, etc…

L’aventure ZDT continuera donc, avec ou sans ZWF.

Sébastien MOREAU


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