Corbeilles de propreté à compaction solaire: une fausse bonne solution
Ce qui est rassurant avec la technologie, c'est que chaque innovation est une inépuisable source de problèmes, qui ne peuvent bien sûr être résolus... qu'avec la technologie!
Dernier exemple en date? Les corbeilles de propreté urbaine à compaction solaire. Petit tour d'horizon d'une nouvelle fumisterie...
Vu sur la plateforme des marchés publics de Tours Métropole Val de Loire, le marché suivant:
"Fourniture, installation et maintenance de corbeilles connectées à compaction solaire et fourniture et pose d'une benne à déchets avec lève-conteneur sur la base d'un véhicule électrique type GOUPIL G4".
D'après le CCTP (cahier des clauses techniques particulières) que nous avons pu consulter, "Tours Métropole Val de Loire souhaite acquérir des corbeilles innovantes compactrices à énergie solaire pour compléter sa gamme de mobilier urbain de rue avec des corbeilles intelligentes afin d’optimiser la collecte des déchets en ville et éviter les débordements des corbeilles tulipes classiques installées actuellement".
Ces corbeilles auront une plus grande capacité de remplissage que les corbeilles classiques (l’équivalent de cinq corbeilles minimum).
Elles devraient faciliter le travail de collecte des agents de la Propreté Urbaine dans les villes de Joué-lès-Tours et Tours qui disposeront d’indicateur de remplissage de la corbeille au moyen d’un logiciel dédié qui communique avec les stations des corbeilles connectées.
Pour réaliser la collecte des déchets, TMVL a demandé dans ce marché public qu'un prestataire lui propose une benne avec lève-conteneur à installer sur un châssis cabine d’un véhicule type GOUPIL G4.
Une "belle connerie"
Comme personne ne nous a demandé notre avis, on ne va pas se priver de vous le donner. Celui-ci se base sur un expert de notre réseau, qui a qualifié cette initiative de, je cite, "belle connerie" (c'est une expression d'expert un peu technique qui signifie approximativement "perfectible"). Puisque le marché n'est pas encore attribué, la solution technique qui sera finalement retenue n'est pas encore connue. Toutefois, le CCTP se calque sur les caractéristiques de Bigbelly ("gros ventre" en français), la leader du marché des corbeilles compactrices solaires que nous vous avons précédemment présentée. Nous avons donc basé notre analyse sur les avantages et les inconvénients supposés de cette gamme de poubelles compactrices.
Si la collecte d'ordures ménagères (OM) en véhicule utilitaire électrique représente une avancée louable par rapport à l'utilisation de véhicules à moteurs thermiques, selon notre expert, le reste du dossier est très problématique pour plusieurs raisons:
-
Leur coût prohibitif : plus de 4 fois une corbeille classique à l'investissement, parfois bien d'avantage. Ainsi
la ville de Genève a déboursé en 2013 entre 6 500 et 7 300 euros pour chaque corbeille Bigbelly , soit presque dix fois plus qu’une corbeille traditionnelle. TMVL prévoit l'acquisition de 15 corbeilles, soit une facture de 100 000 euros minimum si Bigbelly est retenue, à laquelle il faudra ajouter le coût des pièces détachées, de la maintenance, de la formation des agents à l'utilisation de logiciels et d'applications de suivi, de la benne avec lève-conteneur pour le véhicule électrique, de la consommation électrique accrue du fait du suivi à distance via la sollicitation de serveurs et la production de déchets électroniques...
Connect Sytee, le fabriquant de Bigbelly, communique sur une économie potentielle pouvant aller jusqu'à 80% des coûts de collecte, grâce à l'optimisation des tournées rendue possible par cette corbeille communicante. Ce chiffre, abondamment repris dans les médias, est évidemment invérifiable. Sur quelle base a-t-il été établi? Est-ce à court ou à long terme? Mystère et boule de OM... Déjà à Colombes,
le système n'a apporté que 65% d'économies sur les coûts de collecte selon la Mairie. Ah, au fait, un autre détail en passant! Les "coûts de collecte", ce sont aussi des emplois non délocalisables. Nous proposons à la place de réduire les gisements de déchets, pas simplement la fréquence des collectes, et d'affecter les agents, à effectif constant, à la lutte contre les déchets sauvages.
- Une perte irrémédiable de matériaux recyclables et d'objets réutilisables: Il est toujours possible, au moins en théorie, de récupérer des déchets recyclables jetés par erreur dans une corbeille à ordures ménagères résiduelles (OMR) classique. Dans certaines communes équipées de corbeilles de tri, les agents de propreté corrigent les erreurs de tri. Tours est d'ailleurs l'une des rares villes de France a disposer de corbeilles de tri (chic!) mais ici, les déchets recyclables sont mis en mélange avec les OMR pour gagner du temps (heu...). Avec Bigbelly, la récupération de déchets recyclables sera désormais impossible, car la compaction doit pouvoir avoir lieu en phase d'utilisation. Idem pour votre ticket de parking ou le doudou du petit dernier tombé malencontreusement dans le tiroir de la corbeille compactrice. La "grosse ventrue" aura déjà tout avalé! Notons que même si elle est utilisée pour recevoir des déchets recyclables, Bigbelly diminue la recyclabilité du gisement car la compaction imbrique obligatoirement plusieurs matériaux différents et les rend plus difficilement séparables. Curieux, artistes, bricoleurs et indigents passez votre chemin: Fini le glanage de trucs utiles dans les corbeilles de rue. Mais ça, c'est du déjà vu: avec les Points d'Apports Volontaires (PAV), nos élus nous avaient déjà imposé une scandaleuse privatisation immédiate de l'un des derniers biens communs de l'humanité: les déchets réutilisables.
- Une augmentation de capacité qui va à l'encontre de la réduction de déchets: Une solution technologique à 100 000 euros est donc privilégiée par TMVL pour résoudre un problème de corbeilles débordantes... Et si on affectait plutôt cette somme au squelettique budget prévention de TMVL (environ 400 000 euros en 2018 soit à peine 1% du budget global déchets), histoire de réduire les déchets à la source? Au lieu d'inciter chacun à penser à sa production de déchets,
Bigbelly contribue à invisibiliser encore un peu plus nos déchets urbains. Quel citoyen se sentira obligé de faire attention à sa production de déchets si il ne les voit pas et si on lui annonce la présence au coin de la rue d'une corbeille écolo et high-tech ayant une capacité de collecte 5 fois plus importante que la précédente? Plus la corbeille est intelligente, plus les citoyens sont des cons...somateurs. D'autres communes en France, ont fait le choix exactement inverse: déboulonner les corbeilles de propreté dans les espaces urbains pour responsabiliser davantage les citoyens (voir à ce sujet
notre dossier spécial sur les corbeilles de propreté). Pourvu que la mesure soit accompagnée d'une communication efficace, ça semble plutôt bien marcher.
-
un bilan matière plus important: Plus grosse est la corbeille, plus gros sont les besoins en ressources et en énergie pour la fabriquer. Même si le CCTP de la Métropole exige que la corbeille soit totalement recyclable, on peut d'ores et déjà affirmer que ce point ne sera pas respecté, car il est impossible actuellement de recycler 100% des éléments multi matériaux qui la composent. L'acier zingué par exemple est actuellement recyclé à 80% compte tenu des pertes de matières au cours d'un processus qui nécessite une grande consommation d'énergie pour séparer l'acier et le zinc. Et l'utilisation de silicium et de minerais rares pour les composants électroniques et les panneaux solaires de Bigbelly, on en parle? Et sa batterie? Son revêtement extérieur en Polyester traité au TGIC (isocyanurate de triglycidyle,
un agent mutagène de catégorie 2 renforçant la résistance du polyester aux intempéries)? Recyclables à 100% eux aussi? La bonne blague!
- Un encombrement plus important de la chaussée et des nuisances à craindre: Chaque ventrue "intelligente" devrait occuper près de 0,75 m2, soit environ 1 fois et demi l'encombrement au sol d'une corbeille de propreté classique. Un vrai problème dans des espaces urbains de plus en plus restreints par la multiplicité des usages.
Contrairement aux déchets ménagers et assimilés (DMA), la fréquence de collecte des déchets en corbeilles de propreté n'est pas réglementée: il n'y a aucune mention de fréquence de collecte minimale obligatoire pour les corbeilles de propreté dans le code de l'environnement ni dans le règlement sanitaire départemental. En conséquence, il pourrait se passer plusieurs semaines avant que Bigbelly, ou plutôt Bigjelly, soit rassasiée et avertisse le service de collecte qu'il est temps de la vidanger. En cas de collectes fortement espacées, les odeurs des entrailles de big mama risquent d'être insupportables. Si le nez délicat des passants ne devrait théoriquement pas s'en apercevoir (le CCTP demande à ce que le système soit étanche pour éviter les départs de feu, toutefois on a déjà senti air plus pur autour des PAV, eux aussi "étanches"), on plaint d'avance les agents qui seront affectés à la collecte et à la maintenance de la poubelle du futur...
- Une inquiétante dégradation de la sécurité publique: Vigipirate a imposé partout en France des corbeilles ajourées ou garnies de sacs transparents afin de prévenir les risques d'attentats. Quid du dépôt d'un engin explosif dans une corbeille compactrice? Les parois en acier galvanisé résisteront-elles à son explosion ou aggraveront-elles les dégâts infligés aux passants? Aucune information n'est pour l'instant disponible sur ce sujet. Malheureusement plein de grandes municipalités s'y mettent...
A notre avis, des petites corbeilles de tri low tech un peu améliorées et un service public de prévention doté de moyens renforcés offriraient de bien meilleures garanties de succès pour réduire durablement les déchets sauvages en ville tout en optimisant la valorisation les déchets qui ne peuvent être évités. Finalement, la meilleure corbeille à OMR ne serait-elle pas celle qui n'existe pas?
Sébastien MOREAU
« L'oublié du recyclage : le liège
-
14 juillet, bal des déchets »