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Zéro Déchet Touraine

Lettre ouverte à Charles Fournier: "Il est vital de laisser mourir certaines entreprises"

Vie de l'asso – jeudi 16 avril 2020

Charles Fournier, Vice-Président du Conseil régional du Centre Val de Loire délégué à la transition écologique et citoyenne et à la coopération nous a envoyé un message de félicitation pour notre travail en ces temps difficiles.

C'est gentil, mais ce n'est pas seulement ce que nous attendons de lui dans l'immédiat...

Monsieur,

Par votre message aux membres de la CCES du PRPGD Centre-Val de Loire en date du 15/04/2020, vous nous remerciez pour notre contribution « pour réduire, collecter, transporter, trier, recycler ou traiter les déchets » au quotidien malgré la pandémie. Nous sommes sensibles à cette attention. Il est vrai que, malgré les risques, nous prenons notre part à la bonne gestion des déchets qui ne peuvent être évités, notamment en continuant l’accompagnement des sites de compostage partagés que nous avons créés. Chaque semaine, le Guide-composteur de notre association et un petit groupe de volontaires, poursuivent les opérations de maintenance nécessaires au bon fonctionnement de ces sites de compostage, dans l’intérêt général et en appliquant de strictes consignes de sécurité pour leur protection.

Vous nous appelez, dans la suite de votre message, à préparer ensemble l’après confinement. C’est sur ce point précis que nous souhaitons vous interpeller : la Région Centre Val de Loire annonce mobiliser ses outils et dispositifs d’aide aux entreprises destinés à « soutenir les secteurs les plus touchés ». C’est, à notre avis, une grave erreur qui aurait de lourdes conséquences. Car il faut soutenir, non pas les entreprises les plus touchées, mais les plus socialement utiles et les plus écologiquement vertueuses.

En effet, ce dispositif, semble-t-il, ne permet aucune discrimination positive vis-à-vis des activités économiques essentielles et respectueuses de l’environnement. Comme l’a écrit fort justement récemment Bruno Olivier « Une simple politique de guichet (et d'aubaine) classique ne serait pas à la hauteur des enjeux même sous couvert de solidarité avec les acteurs ».

Or, l’effondrement en cours est une occasion unique de ne pas relever les pires pans de l’économie capitaliste et, simultanément, de stimuler de manière décisive les jeunes pousses de l’économie sociale et solidaire. C'est une occasion historique de réorienter nos priorités collectives en faveur de la transition écologique et sociale et de donner enfin corps à un vaste et salutaire mouvement de mutation de la société française.

Tout d’abord, le confinement actuel laisse entrevoir les bénéfices directs et immédiats d’un net ralentissement économique[1] qu’il importerait, non de juguler, mais bien au contraire d’amplifier et de prolonger après le déconfinement, tels que :

  • Amélioration spectaculaire de la qualité de l’air (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Forte réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Retour de la biodiversité dans les espaces laissés vacants par le recul des activités humaines (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Réduction des nuisances et pollutions liées aux déplacements de véhicules et au transport aérien (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Diminution importante de la mortalité sur les routes (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Diminution de la consommation énergétique régionale et donc de son empreinte écologique (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Suspension des chantiers de construction et de l’artificialisation de nos sols (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Recentrage de la consommation des ménages sur des produits de base, évitant la surconsommation et le surendettement (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Accroissement de l’économie informelle, de l’engagement bénévole et des élans de solidarité vis-à-vis des personnes démunies et/ou isolées (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Vigilance accrue des salariés des secteurs essentiels vis-à-vis de leurs risques professionnels (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Revalorisation sociale des métiers et des secteurs d’activité essentiels, souvent mal rémunérés (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Partage du temps de travail restant, afin de travailler moins mais tous (qui s’en plaindrait ?) ;
  • Libération de temps personnel pour développer des activités relevant du soin (au sens du care anglo-saxon : éduquer, écouter, soigner, réconforter…) et du développement personnel (s’informer, lire, échanger, faire du sport…) (qui s’en plaindrait ?) ;

Au lieu de « produire plus » pour sauvegarder le supposé bénéfice collectif lié à l’accroissement perpétuel du PIB, il importe donc de produire moins et de produire mieux : Une économie démondialisée, un tiers de télétravail en plus, la mise à l’arrêt des secteurs économiques non essentiels et une stricte limitation des déplacements carbonés. Voilà, semble-t-il, la recette d’un monde habitable.

Il y a en effet, dans ce confinement imposé, la démonstration qu’une décélération économique massive et radicale est non seulement bénéfique mais indispensable à la survie de l’humanité. Car la transition écologique et sociale est une urgence absolue et elle a besoin de votre engagement plein et entier. Le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la pollution des eaux, de l’air et des sols, l’épuisement des ressources naturelles, les inégalités sociales et de genre, les discriminations, l’affaiblissement de la vie démocratique, les pandémies sont autant de graves problèmes créés et perpétués par les modes d’organisation productivistes, et notamment par le capitalisme mondialisé. Il est grand temps d’y mettre un terme.

Les acteurs économiques régionaux ont eu maintes occasions de réinventer leurs modèles de développement, d’interroger leurs pratiques, d’investir durablement dans des outils de production locaux, bref, d’agir dans l’intérêt général. Ils ont été encouragés à mettre en place, de manière volontaire ou sous la contrainte du législateur, des mesures de responsabilité sociale, de prévention des gaspillages, de réduction de leur production de déchets, de sécurisation de leurs activités, de relocalisation de leurs approvisionnements. Ils ne peuvent ignorer les vertus, connues de tous, de la circularisation de l’économie, des technologies et pratiques alternatives respectueuses de l’environnement, de la redistribution sociale des profits. Nous n’allons pas nous raconter d’histoires : ils n’en ont rien fait, ou si peu, comme en témoigna la nécessité dans laquelle vous vous trouvâtes[2] d’organiser une COP régionale : si les acteurs économiques régionaux avaient suffisamment fait leur part en temps voulu, s’ils avaient réellement fait preuve de responsabilité sociale et environnementale, votre initiative n’eut pas été nécessaire.

Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, aucun esprit sensé ne souhaiterait désormais revenir à une situation antérieure qui était tout sauf « normale ». Il n’y a plus aucun crédit à accorder à ces idéologies qui nous ont menés dans l’impasse (productivisme, consumérisme, domination patriarcale, néolibéralisme…) car elles ont fait la démonstration de leur inanité et de leur dangerosité. Nous devons refonder avec confiance notre relation à nous-mêmes, aux autres, à l’environnement et tourner le dos le plus vite possible au culte de la croissance infinie et à ses fausses idoles (compétitivité, productivité, flexibilité, …).

En ce moment décisif, nous vous exhortons à la plus grande fermeté et à ne pas céder aux appels larmoyants des sirènes égoïstes. Tenez bon! Refusez de sauver les entreprises polluantes en difficulté ; ces compagnies scélérates, pilleuses de ressources, voleuses d’avenir, exilées fiscales opportunistes, fossoyeuses d’humanité, doivent disparaître. Aiderez-vous de la même manière le food-truck végétarien d’Adeline et les 22 restaurants McDonald’s de Bernard, qui continue, malgré le confinement, à encaisser du cash et à vomir nuit et jour ses déchets au mépris de la santé de ses salariés, de ses clients, de coursiers précarisés et des rippers exposés? Au mépris aussi de l’environnement que ses restaurants souillent chaque jour un peu plus, malgré quelques opérations de nettoyage superficiel surmédiatisées? Soutiendrez-vous de façon identique les sous-traitants du secteur de l’efficacité énergétique et ceux de l’automobile ? Les associations de valoristes comme les entreprises de la Cosmetic Valley ? Les agriculteurs bio autant que les agro-chimistes ?

En Région Centre Val de Loire, les secteurs de l’aéronautique et de la défense représentaient plus d’emplois, avant la pandémie, que celui des « éco-entreprises » (18 700 salariés contre 12 000), catégorie-valise regroupant tout de même des activités aussi diverses que le traitement de l’eau et la gestion d’incinérateurs, par exemple. Notre territoire n’a pas besoin de sous-traitance aéronautique ni de fabricants d’armes. La Suisse, par exemple, fabrique de très bons LBD, ça crève les yeux. Selon la DREAL, en 2014, l'industrie régionale (hors industrie de l'énergie) a consommé 20 millions de m3 d'eau. Cette année-là, elle a rejeté environ 6500 tonnes de polluants divers non traités dans les cours d’eau. Avant le confinement, les émissions de polluants atmosphériques à effets sanitaires s’élevaient à plus de 80 000 tonnes/an sur le territoire régional. En 2017, la Région importait deux fois plus de combustibles fossiles et de minéraux (et leurs dérivés) qu’elle n’en produisait. Au total, la Région importait 42 millions de tonnes de matières par an et en exportait 37,8. Et elle générait 1,4 million de tonnes de déchets ménagers et assimilés (DMA) par an…

Est-ce bien ce monde-là que vous vous proposez de réanimer ??

Nous avons plus que jamais besoin de réduire cette empreinte écologique colossale. Il est vital de laisser mourir certaines entreprises, et de proposer à leurs ex-salariés des emplois rejoignant l’intérêt général. Nous avons besoin d’emplois qui ont du sens, qui ne soient pas délocalisables, qui contribueraient à résorber les crises environnementales et sociales plutôt qu’à les accroître. Nous devons par exemple augmenter l’autonomie alimentaire de la Région par le biais d’un soutien massif aux pratiques agro-écologiques, réduire la production et la consommation de produits transformés néfastes pour la santé, repeupler les campagnes sans artificialisation supplémentaire, lutter contre les déserts médicaux grâce aux services de médecins expérimentés, désenclaver les communes rurales avec un réseau de transport en commun plus efficient, stopper les projets de rocades inutiles, la spéculation immobilière et la bétonisation des rares espaces disponibles, favoriser l'aménagement, sur des espaces déjà construits, d'habitats à loyers modérés ET à haute performance énergétique. Il faut sauvegarder en priorité les emplois des commerces indépendants, situés en cœur de ville ou de village et la vitalité des marchés, s’appuyer sur l’expérience et le réseau de dispositifs résilients déjà existants comme les monnaies locales et les systèmes d’échanges locaux (SEL). Sanctuariser les emplois d’aides à la personne, en particulier auprès des personnes âgées ou souffrant de handicap. Encourager massivement la production citoyenne et autonome d’énergie renouvelable, à l’échelle de quartiers, de villages et d'entreprises. La liste est longue et vous l’avez déjà entre les mains: c’est la feuille de route régionale pour l'économie circulaire, que vous devez désormais faire appliquer « quoi qu'il en coûte ». Un transfert d’emplois des secteurs les plus polluants vers les secteurs les plus essentiels et les plus respectueux de l’environnement est surtout possible en temps de crise, car les entreprises n’évoluent que sous la contrainte.

En ce qui concerne les déchets, nous constatons que le retard pris en matière de prévention occasionne aujourd’hui un grave engorgement des filières d’élimination et de nombreux dysfonctionnements en cas de réduction subie de nos capacités de traitement. Il est donc urgent de réduire la production de déchets des entreprises et des ménages en réduisant directement l’offre commerciale et industrielle. Nous prenons en effet acte que le consommateur est fondamentalement rendu immature et égoïste par le système marchand et sa propagande publicitaire. Porter à sa connaissance des informations démontrant les impacts sociaux, écologiques, énergétiques, éthiques, etc. de ses choix de consommation permet certes de « gagner les cœurs et les esprits ». Mais cela demande un temps long et des moyens que nous n’avons plus. Un sevrage collectif, mais sélectif s’impose.

Je vous remercie par avance pour l’attention que vous porterez à ces quelques réflexions et je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sincères salutations.

Sébastien MOREAU

Président de Zéro Déchet Touraine

 

[1] J’entends bien ici les bénéfices du ralentissement économique et non du confinement lui-même, qui entrave nos libertés individuelles, provoque d’atroces situations subies d’isolement ou de cohabitation forcée en cas de violences conjugales, favorise le décrochage scolaire et in fine renforce les inégalités sociales, entre autres conséquences déplorables.

[2] Le confinement m’amène à réviser le passé simple avec mon fils. Donc je l’utilise.


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