Capitalovirus (2/2)
Vie de l'asso – mercredi 18 mars 2020
La botte italienne saute dans le coronavirus (et éclabousse ses voisins).
Pourquoi l’Italie a-t-elle été touchée de plein fouet par la COVID-19 ?
Depuis la crise de la dette souveraine en 2010 et après plusieurs années de déficit commercial, l'Italie a changé de cap économique sur injonction du Fond monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Cette curatelle de l’état italien lui a permis de réduire son déficit public, au prix notamment d’une remise en question complète en 2011 et en 2018 de son système de retraite par répartition. Les ports et aéroports italiens se mettent à tourner à plein régime pour faire de l’Italie l’un des maillons essentiels de l’économie mondialisée et attirer touristes et biens de consommation étrangers. Le pays connait un fort accroissement de ses échanges commerciaux avec ses principaux clients (Allemagne, France, Etats-Unis, Espagne, Royaume-Uni) et ses principaux fournisseurs (Allemagne, France, Chine, Pays-Bas, Espagne). En récompense de sa conversion à marche forcée à la « mondialisation heureuse », le pays enregistrait ces dernières années des balances commerciales positives, en même temps qu’une forte hausse des inégalités sociales et géographiques qui portèrent brièvement au pouvoir en 2019 des ministres europhobes et identitaires.
Et il devint, en janvier 2020, l’une des premières portes d’entrée en Europe du SARS-CoV-2, le coronavirus à l’origine de l’épidémie de COVID-19.
Le 30 janvier, quelques heures après que les deux premiers cas de COVID-19 aient été diagnostiqués dans la péninsule transalpine, le gouvernement italien annonçait son intention de suspendre les vols à destination et en provenance de Chine, Hongkong, Macao et Taiwan. Le Président du Conseil des Ministres italien, Giuseppe Conte, écartait alors toute « panique », et soulignait que l'Italie s'était déjà « préparée avec soin » pour affronter ce type de situations [1]. G. Conte précisait que les autorités tentaient de retracer le parcours des deux touristes infectés « afin de limiter les risques » et affirmait que « la situation restera confinée à quelques cas ». Et effectivement, le 18 mars 2020, l’Italie, totalement confinée, comptait quelques 35 713 cas de COVID-19. Mais elle déplorait aussi 2 978 décès.
Car si les liaisons aériennes avec la Chine furent rapidement interrompues, les voyageurs venant des zones à risques ne furent pas placés en quarantaine. Ils purent ainsi circuler librement en Italie et en Europe pendant de longues semaines, grâce aux accords de Schengen. D’autant plus aisément que les symptômes les plus graves de la COVID-19 n’apparaissent qu’au bout d’une semaine d’infection. La quarantaine n’a pas non plus été appliquée aux premiers patients italiens infectés par le virus, tel cet habitant de Codogno qui aurait contaminé au moins 200 personnes avant d’être hospitalisé. Par ailleurs, le samedi 7 mars 2020, des milliers d'Italiens ont fui vers le sud quelques heures avant l'officialisation du confinement du nord, propageant ainsi la maladie dans le Mezzogiorno. Le 10 mars, il ne restait plus d’autre choix au gouvernement italien que de décréter un confinement général de la population du pays et la fermeture de ses frontières.
Outre une préparation à cette épidémie insuffisante, l'Italie souffre d’un ministère de la santé fragile et dépourvu de pouvoir effectif. La gestion du système de santé est confiée avec plus ou moins de bonheur aux régions italiennes depuis 2001. Selon la sociologue Giovanna Vicarelli [2], la crise sanitaire italienne serait l’une des conséquences « des politiques menées par les gouvernements de centre droit, fédéralistes, qui n’ont rien fait pour renforcer la fonction ministérielle de coordination des politiques territoriales ».
Irréductibles gaulois
Nous sommes en janvier 2020 après Jésus Christ. Tout le monde est occupé par le coronavirus. Tout le monde ? Non ! Un petit pays peuplé d’irréductibles gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur et refuse de s’en occuper. Du moins en apparence.
Ainsi le 21 janvier 2020, la Ministre de la Santé, Agnès Buzin, déclare au sujet du SARS-CoV-2 : « Le risque d'introduction en France est faible mais ne peut être exclu, d’autant qu’il existe des liaisons aériennes directes entre la ville de Wuhan et la France. (…) Des affiches ont été disposées à l’aéroport de Roissy ». On respire, tout a été prévu et correctement évalué, donc.
Alors qu’au même moment certains pays, comme les Philippines ou les Etats-Unis, vérifient la température des voyageurs revenant de Chine à l’aide de caméras thermiques, aucune mesure de contrôle n’est prise à nos frontières. Plus vigilante que notre gouvernement, c’est l’ambassade de Chine à Paris qui prévient les autorités françaises le 22 janvier 2020 qu’une personne originaire de Wuhan prétend avoir « réussi à passer le contrôle à l'aéroport et à entrer sur le territoire français » alors qu'elle avait des symptômes de fièvre et de toux. Et dire qu’Agnès s’était enquiquinée à faire scotcher des affiches à Roissy...
Deux jours plus tard sont signalés les premiers malades de la COVID-19 en France. Le 25 janvier, un patient chinois âgé de 80 ans, originaire de la Province du Hubei, foyer du SARS-CoV-2, est hospitalisé à l’hôpital Bichat, où il décèdera le 15 février. Le 29 janvier 2020, Air France suspend enfin ses vols pour Wuhan et réduit ses dessertes vers Pékin et Shanghai « en raison de la baisse de la demande sur ces destinations ». Des groupes isolés de personnes infectées, ou clusters, apparaissent dans les Hauts de France, le Grand Est, la Bretagne, obligeant le gouvernement français à mettre en place des mesures de stade 2, pré-épidémiques, dont l’interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes en milieu fermé. Certains fans sont soulagés : 4700 chanceux pourront encore assister au concert de Lara Fabian le 18 mars à la Cité internationale de Lyon. Las ! La jauge de spectateurs admis dans les manifestations publiques sera progressivement abaissée à 1000 personnes le dimanche 8 mars, puis à 100 personnes le vendredi 13. La poisse ! C’est râpé pour Lara Fabian, à moins de l’inviter chez soi, d’insonoriser les murs et de rassurer le chien.
Lorsque l’Italie se confine le 10 mars, le libéral président Macron considère que la fermeture des frontières entre l’Italie, la Slovénie et l’Autriche est « une mauvaise décision ». Appelant au calme, Il rappelle que « 85% de celles et ceux qui seront positifs au virus auront une forme bénigne de ce virus » (affirmation scientifiquement hasardeuse, comme nous l’avons vu dans notre premier volet, compte tenu des séquelles à vie que cette infection pourrait engendrer ou des probables mutations que le virus connaitra). Le Directeur de la Santé, Jérôme Salomon, insiste auprès des médias : « 98% des gens guérissent ». Pourtant ce même jour, selon le Figaro, des mesures particulières ont été prises autour du président et de ses collaborateurs [3] : plus aucune réunion n'est organisée dans Ses bureaux et une attention est portée aux objets qu'Il touche, comme les stylos, blocs ou dossiers. Les visites publiques sont suspendues. Des salles de réunion dédiées sont instituées, avec nettoyage entre chaque réunion. Les principaux collaborateurs du chef de l'État doivent faire plus attention dans les transports, aller moins au cinéma ou au théâtre, etc... Un bel exemple de dissonance discursive ! Peut-être Lui aura-t-on rappelé le funeste sort d’un autre banquier et homme d'État français, le Président du Conseil Casimir Périer, qui mourut d’avoir bravé l’épidémie parisienne de choléra en 1832 ?
Irréductibles, quoique…
Irréductible : [Appliqué à une pers. ou à une faculté de la pers.] Que l'on ne peut soumettre, vaincre ou convaincre. [4]
La communauté internationale s’émeut de l’absence de réactivité des autorités françaises face à la pandémie, officiellement proclamée par l’OMS le 11 mars. Simultanément, les gaulois deviennent persona non grata dans certains pays européens (République Tchèque, Slovaquie) et non européens (Etats-Unis d’Amérique). Donald Trump en profite pour étendre la fermeture des frontières américaines à tous les ressortissants européens et désigner des boucs émissaires à la crise sanitaire et politique naissante dans son pays. Le 12 mars 2020, la bourse de Paris s’effondre et E. Macron a une révélation. Dans Son adresse aux Français, Il annonce avoir découvert que la santé gratuite et « notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux » et « qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » [5]. Etait-Il alors fiévreux ??
Irréductible : CHIR. Qu'on ne peut réduire, remettre en place. Exemple : « Lorsque cette véritable hernie hémorroïdaire est irréductible elle constitue un étranglement hémorroïdaire » (Quillet Méd.1965, p. 171). [4]
Contrairement à une hémorroïde qui s’étrangle, on peut remettre facilement en place E. Macron. En lui rappelant par exemple que, depuis sa prise de fonctions, des professionnels de santé l’ont alerté contre le manque de moyens dans les hôpitaux publics, soumis à une logique de rentabilité excessive et contre la pénurie de personnel, dont les rémunérations ne sont pas assez attractives. Que la COVID-19 apparait juste après que 1100 médecins hospitaliers aient démissionné collectivement de leurs fonctions en signe de protestation, de guerre lasse. Que sous Son impulsion, l’exécutif a sévèrement réprimé les manifestations d’infirmières, d’aides-soignants, de sages-femmes ou de pompiers qui ne demandaient qu’une reconnaissance de la pénibilité de leurs métiers et des conditions d’exercice plus dignes. On rappellera également que peu avant cette épidémie, le gouvernement a fait passer en force une réforme très contestée qui allait livrer notre système de retraite aux lois du marché contre l’intérêt général et impacter la santé de générations de travailleuses et de travailleurs. On Lui rappellera enfin qu’Il a insisté pour réduire l’accès à la Protection universelle maladie (PUMA) pour les demandeurs d’asile et pour réviser l’Aide médicale d’état (AME) pour les étrangers en situation irrégulière, afin de lutter contre un prétendu « tourisme médical ». Selon France Terre d’Asile, ces économies de bouts de chandelles indignes vont détériorer inutilement la santé des déplacés, accroître le nombre de personnes renonçant aux soins et reporter la charge de ces soins sur les hôpitaux et les urgences. Enfin que dire de la décision de démettre de ses fonctions la Ministre de la Santé alors que le SARS-CoV-2 faisait ses premières victimes, pour qu’elle pallie à la défaillance d’un célèbre membre de LREM, vidéaste amateur en panne d’élection à Paris ?
Irréductible : [En parlant d'une chose] Qu'on ne peut diminuer, restreindre, qu'on ne peut ramener à une quantité plus faible. Exemple : « Si je rentre en servitude, n'est-ce-pas pour arriver plus tôt à une pleine et irréductible liberté? » (M. de Guérin, Corresp.,1836, p. 252). [4]
Les restrictions imposées par le gouvernement nous obligent à renoncer à nombre de nos libertés individuelles : celle de travailler, de boire un verre avec ses amis, d’emprunter un livre, de faire les magasins, de jouer dans des parcs, d’embrasser certains proches... Le moment est extrêmement grave et nous devons nous efforcer de respecter les consignes en vigueur afin de ralentir la propagation du virus. Mais cette crise, brutale, tragique et injuste, est également porteuse d’une opportunité unique : elle impose au monde entier une violente cure de désintoxication commerciale et industrielle et nous a déjà propulsé, de force, dans un nouveau monde.
Rien ne sera plus comme avant.
Bienvenue de l’autre côté du miroir…
Ça passe ou Sissa casse
Lorsqu’on connait l’histoire de l’échiquier de Sissa [6], on a des raisons légitimes de s’inquiéter de l’épidémie de COVID-19.
D’après la légende, le sage indien Sissa inventa le jeu d’échec pour un roi qui s’ennuyait ferme (un peu comme nous en confinement). Pour le remercier, le roi demanda à Sissa de choisir sa récompense. Ce dernier, malicieusement, demanda au souverain de poser un grain de riz sur la première case du plateau et de doubler ensuite le nombre de grains de riz sur chacune des cases, par rapport à la précédente. Le roi et la cour s’amusèrent d’abord de la modestie de la requête, mais ils s’aperçurent bien vite que toutes les réserves du royaume ne suffiraient pas à honorer la demande du sage. Les mathématiques nous indiquent en effet qu’un peu plus de 18 trillions (ou milliards de milliards) de grains de riz seraient nécessaires pour aller jusqu’à la 64ème case du plateau. Vous pouvez refaire le calcul avec vos enfants, ça va les occuper un moment (inutile de chercher à me remercier en grains de riz, ça me constipe).
En raison de sa symptomatologie particulière, ce virus a une contagiosité élevée : le temps de doublement (temps nécessaire pour doubler le nombre de cas confirmés) est actuellement de 3 jours en France. Pour reprendre l’analogie avec l’échiquier de Sissa, c’est comme si on ne passait à la case suivante que tous les 3 jours, en déplaçant à chaque fois tous les grains de riz déjà déposés sur le plateau et en complétant leur nombre afin de le doubler. A ce petit jeu-là, il suffirait de 75 jours et de 26 cases du plateau pour y déposer 67 millions de grains de riz. Un pour chaque habitant.
Des centaines de milliers de décès redoutés en France
En l’absence de médicament ou de vaccin contre le SARS-CoV-2, seul le respect des gestes barrières peut nous prémunir d’une infection. Pour que cela fonctionne une réduction d’au moins 60% des contacts serait nécessaire selon Anderson et al. [7].
Le Conseil scientifique COVID-19, que consulte actuellement l'executif, estime qu’au moins 50 % de la population française pourrait être à terme contaminée par le virus, soit 33,5 millions d’individus concernés [8]. Une résurgence de l’épidémie après la période de confinement n’est pas exclue. Celle-ci pourrait intervenir pendant l’automne ou à l’hiver prochain si la vigilance se relâche.
En France, le taux de mortalité, calculé à partir du nombre de décès rapporté au nombre de cas confirmés, est actuellement d’environ 2,2%. En théorie, l’épidémie de COVID-19 pourrait donc faire au moins 737 000 morts en France. Toutefois, la mise en place de mesures de distanciation sociales, de confinement, de télétravail, le respect des comportements individuels et collectifs de prévention, l’hétérogénéité spatiale de l’épidémie, sa possible sensibilité aux variations de températures saisonnières et des mutations du virus encore imprévisibles peuvent nettement ralentir la propagation du virus, atténuer sa virulence, repousser de plusieurs mois le pic épidémique et réduire considérablement le nombre final de victimes. De plus, le nombre de cas réels est inconnu. Il est donc possible, espérons-le, que le taux de mortalité réel associé aux infections par le SARS-CoV-2 soit inférieur aux estimations.
Toutefois, si on annonce triomphalement une baisse du nombre de nouveaux cas dans les médias, ne vous réjouissez pas trop vite : il peut tout simplement s’agir d’un biais d’évaluation, car les tests de confirmation ne seront probablement plus jugés nécessaires au plus fort de l’épidémie, faisant baisser artificiellement le nombre de nouveaux cas confirmés.
Selon une équipe d’épidémiologistes de l'Imperial College de Londres [9] l’épidémie de COVID-19 pourrait tout de même faire entre 300 000 et 500 000 morts en France, si aucun traitement n’est disponible et si les mesures de distanciation sociale et de confinement ne sont pas assez efficacement suivies.
Entre 300 000 et 500 000 morts.
Le virus continuera à circuler et fera des victimes bien après la levée du confinement, probablement pendant des années. Dans le cas du MERS-CoV, autre coronavirus, un patient coréen revenant du Moyen-Orient a été diagnostiqué positif en mai 2015, soit plus de 3 ans après que ce coronavirus ait touché l’Arabie saoudite, en avril 2012.
D’après ce que l’on sait des atteintes qu’occasionne le SARS-CoV-2 sur le système cardiovasculaire des personnes qu’il infecte, au moins 12% des personnes ayant survécu à la maladie risquent de souffrir de lésions cardiaques aigües [10], soit au moins 4 millions de personnes qui pourraient être fragilisées si 50% de la population française était contaminée. Toutefois on manque encore de recul sur le sujet à ce stade : les observations ont porté sur trop peu de cas (essentiellement en Chine au début de l’épidémie) et pendant trop peu de temps. En attendant mieux vaut être prudent et ne pas chercher à devenir volontairement séropositif au SARS-CoV-2 pour « faire son immunité », comme certains l’envisagent un peu trop légèrement.
Dans le cas du SARS-CoV, une cohorte de 25 patients a été suivie pendant 12 ans après leur exposition au virus et leur rémission [11]. Environ 68 % des patients ayant survécu à la maladie souffraient d'hyperlipidémie, 44 % d'anomalies du système cardiovasculaire et 60 % de troubles du métabolisme du glucose. Il n’est donc pas exclu que la qualité de vie des personnes qui seront séropositives au SARS-CoV-2 soit sérieusement et durablement impactée, engendrant de très sérieux problèmes de santé publique.
L’encombrement des hôpitaux et la désorganisation passagère de notre société risquent également d’occasionner une surmortalité liée à des difficultés à traiter des patients souffrant d’autres affections. Des troubles psychologiques engendrés par une situation objectivement anxiogène ou par le confinement peuvent également apparaître chez certaines personnes durant et après l’épidémie. Des personnes en situation de handicap mental pourraient être très déstabilisées. Soyons solidaires plutôt que solitaires.
Evidemment la France n’est pas le seul pays impacté. La pandémie touche toutes les régions du globe et à l’échelle mondiale, le taux de mortalité moyen est plus élevé que chez nous (près de 4%).
La population mondiale devait s’établir à 7,88 milliards d’êtres humains en 2020 selon l’OMS. Même si le ralentissement de l’économie sauvera des vies, en raison de la baisse de la pollution atmosphérique dans les grandes villes par exemple, plusieurs millions d’habitants pourraient manquer à l’appel d’ici à la fin de l’année à cause du SARS-CoV-2, le tragique roi des virus.
Quelques conséquences prévisibles de l’épidémie sur les déchets
La lutte contre l’épidémie nécessitera la consommation de grandes quantités de matériels médicaux à usage unique. Ils ne devraient pas être mis dans les ordures ménagères résiduelles, un point important de notre plaidoyer que nous avons fait valoir lors de l’élaboration de plusieurs Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET). En effet, l'élimination des déchets d'activités de soins à risques infectieux est réglementée par des dispositions issues du Code de l’environnement et du Code de la santé publique. La responsabilité de leur élimination incombe à l'établissement producteur (ex : un hôpital, ou une entreprise qui fournit des masques et des gants à ses employés), à la personne morale pour le compte de laquelle un professionnel de santé exerce une activité productrice de déchets (ex : hospitalisation à domicile) et dans tous les autres cas, à la personne physique qui exerce l'activité productrice de déchets dans le cadre de son activité professionnelle (ex : médecins et infirmières d’exercice libérale, mais aussi un livreur indépendant qui porterait masques et gants pour se protéger...). Les DASRI générés par des patients en auto traitement et atteints d’au moins l’une des 22 pathologies reconnues par 3 arrêtés ministériels peuvent être ramenés en pharmacie, dans des boîtes sécurisées (filière DASTRI).
A l’heure actuelle, les autres déchets de soin générés par les particuliers dans le cadre de leur hygiène personnelle (textiles sanitaires jetables comme les couches et les serviettes périodiques) ou dans leurs activités de santé (pansements, bandages, gants, masques souillés…) , sont admis dans les ordures ménagères. Nous trouvons que cela est anormal, compte tenu de la dangerosité potentielle de ces déchets, qui nécessiteraient une sujétion particulière pour leur collecte et leur traitement (y compris en période inter-épidémique). Zéro Déchet Touraine plaide pour la mise en place de filières DASRI élargies dans les décheteries du département pour protéger durablement la santé des agents de collecte et de traitement des déchets.
Les délais réglementaires entre la production des DASRI et leur incinération ou prétraitement par désinfection dépendent des quantités produites : 72 h pour des productions supérieures à 100 kg par semaine ou 7 jours pour des productions comprises entre 5 et 100 kg par semaine [12]. Selon les surfaces, le SARS-CoV-2 pourrait persister dans l’environnement entre 4 et 72 heures [13].
Une grande quantité de paracétamol et de produits désinfectants sera consommée pendant l’épidémie, générant de nombreux déchets. L’emballage d’un médicament en carton et la notice d’utilisation sont recyclables et doivent être traités comme des papiers/cartons par rapport aux consignes de tri de votre collectivité. En revanche, les médicaments, entamés ou non, et les emballages qui contenaient directement ces médicaments (plaquette de cachets, bouteilles de solutions buvables ou sachets de poudres) doivent être collectés par le dispositif Cyclamed. Contrairement à une idée reçue, Cyclamed ne recycle pas les médicaments : il les fait incinérer. Mis en place par les entreprises du médicament, ce dispositif est réservé à la collecte des médicaments non utilisés détenus par les ménages et ramenés dans les officines de pharmacie. Il concerne les formes suivantes de médicaments : les comprimés, pommades, crèmes, gels, sirops, ampoules, aérosols, sprays et inhalateurs.
Les bouteilles de désinfectants (solutions et gels hydroalcooliques par exemple) peuvent être placées dans les bacs de tri, sauf indication contraire de la part de votre collectivité. Evitez de laisser des reliquats de solution dans les flacons.
Difficile de concilier zéro déchet et épidémie
C’est une question de priorité personnelle et nous vous laissons libre de vos choix. Néanmoins, si la fabrication d’une solution hydroalcoolique DIY est facile, efficace et presque sans risque, l’usage de masques de protection lavables en tissu est plus problématique. L’efficacité d’un masque dépend de sa confection. Ils doivent être filtrants et, pour une protection optimale, doivent répondre à la norme EN 149. Celle-ci définit 3 classes d’efficacité de filtration : FFP1, FFP2 et FFP3. La classe FFP2 est recommandée pour se prémunir des virus de type SARS-CoV, donc à priori adaptée contre le SARS-CoV-2. Le pourcentage de filtration d'aérosols doit être de 94 % au minimum et le pourcentage de fuite vers l'intérieur doit être de 8 % au maximum. Dans le cas d’une fabrication artisanale, la conformité à la norme ne peut être garantie et le masque risque de se révéler simplement inopérant. Se tenir à une distance de plus d’1 mètre d’une personne est une mesure plus simple, moins couteuse et tout aussi efficace pour protéger sa santé.
Ne confondez pas un masque de protection avec un masque chirurgical, qui empêche les germes de la personne qui le porte de se propager à l'extérieur. Le masque chirurgical doit donc être porté en priorité par une personne potentiellement malade. Si les chirurgiens-dentistes utilisent des masques chirurgicaux, c’est pour vous protéger de leurs microbes. En période épidémique, ils devraient opter pour des masques FFP2. De ce point de vue, le protocole diffusé par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes le 12 mars 2020 est une aberration pour la santé des praticiens [14]. C’est toujours embêtant de perdre un bon dentiste, surtout à cause d’un virus à couronne.
Certaines entreprises vendent sur internet des masques chirurgicaux en tissu, lavables à 60°C. Attention, ils sont généralement non filtrants et non garantis FFP2.
Vous pouvez continuer à utiliser des mouchoirs en tissu, mais il est préférable de les garder dans une poche et de bien se laver les mains après chaque utilisation. Lavez-les fréquemment, à une température d’au moins 60°C.
Pour la désinfection quotidienne de vos poignées de portes et surfaces de contact (interrupteurs, claviers d’ordinateurs, télécommandes, boutons de four micro-ondes…), vous pouvez utiliser un chiffon imbibé d’alcool ménager. Attention celui-ci contient de l’éthanol et est dénaturé par l'ajout de méthanol, substance inflammable, toxique, sensibilisante, mutagène, cancérogène et reprotoxique. Pendant le nettoyage, aérez votre domicile (le virus ne peut pas voler et a besoin d’aérosols pour se transporter, comme des postillons ou des gouttelettes d’éternuement). Laissez l’alcool résiduel s’évaporer en plaçant le chiffon à l’extérieur jusqu’à séchage complet et lavez-le dès que possible.
Prenez sur vous de ne pas amener vos contenants dans les magasins pendant l’épidémie (je sais, c’est dur maintenant que l’habitude est prise) et de vous conformer aux instructions données par le personnel du magasin. Soyons compréhensifs et patients.
Dans les premiers temps du confinement, certaines filières de distribution des denrées alimentaires vont être désorganisées et il y a un risque de gaspillage alimentaire à grande échelle. Il y a peut-être de bonnes affaires à faire directement auprès des producteurs de fruits et de légumes locaux qui pourraient se retrouver avec des stocks d’invendus sur les bras. Renseignez-vous et avant d’aller faire vos courses chez eux, remplissez bien votre autorisation de déplacement (une pour chaque personne en déplacement). A priori, rien ne vous empêche de remplir votre autorisation de déplacement dérogatoire au crayon à papier pour la réutiliser plusieurs fois…
C’est le moment d’essayer nos différentes recettes DIY pour fabriquer chez vous un certain nombre de produits ménagers et alimentaires. Profitez-en pour vous faire plaisir (et occuper les mômes)!
Les bons côtés de ce que nous vivons
Il n'est pas ici question de minimiser la gravité de la situation que nous vivons ni les souffrances qu'elle nous inflige. Néanmoins, la forte décélération de l’économie mondiale dans les mois et les années à venir peut aussi avoir des conséquences positives, comme par exemple :
- Réduction de la consommation d’énergie ;
- Réduction des pollutions et des nuisances occasionnées à l’environnement ;
- Amélioration de la qualité de l’air, de l’eau, des sols ;
- Diminution importante de nos émissions de gaz à effet de serre ;
- Réduction de l’extraction et de la consommation de ressources naturelles ;
- Réduction de la production mondiale de déchets ;
- Réduction des prises issues de la pêche et de la chasse ;
- Ralentissement de la déforestation ;
- Diminution des activités de construction ;
- Réduction du trafic aérien et naval ;
- Réduction des accidents de transport et des accidents du travail ;
- Moindre exposition des salariés aux risques professionnels ;
- Réduction des situations de surmenage professionnel ;
- Simplification de la gamme de produits et de services proposée aux consommateurs ;
- Réduction de la consommation et de la surconsommation ;
- Réduction des flux financiers et donc de l’évasion fiscale ;
- Relocalisation de l’économie ;
- Stimulation de l’économie sociale et solidaire, du réemploi et de la réparation d'objets…
Des scientifiques suivent actuellement de près l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs environnementaux qui pourraient attester de la justesse des propositions formulées par les objecteurs de croissance, tenants de la Décroissance, depuis plusieurs décennies. C'est presque inespéré dans la mesure où toute expérimentation à grande échelle en ce domaine était jusqu'alors quasiment impossible.
Le fait que l’état envisage de nationaliser un certain nombre d’entreprises menacées de fermer est une bonne nouvelle et s’appliquera peut-être plus largement en période inter-épidémique pour renforcer la résilience de notre économie et mieux encadrer les acteurs du marché. De même, la mise au chômage partiel d’une partie des travailleuses et travailleurs et sa prise en charge par l’état pendant le confinement ravive la pertinence et l’urgence d’instaurer un revenu de base universel. Les professionnels de l’événementiel et les intermittents du spectacle par exemple, touchés de plein fouet par cette crise, auraient pu être moins impactés si cette mesure avait déjà été mise en place.
Un printemps silencieux, mais prometteur
Est-il encore besoin à ce stade de rappeler que tout cela avait été envisagé et discuté scientifiquement ? Le risque pandémique figure en bonne place parmi les 12 risques crédibles menaçant les civilisations humaines [15]. Ce n’était pas le seul risque qui menaçait la stabilité de nos sociétés mais c’est le premier à se présenter à nous avec l’efficacité implacable d’un instrument eschatologique affuté et qui a fait ses preuves.
Dès 1962, Rachel Carson nous mettait en garde contre l’utilisation déraisonnable des pesticides qui pourrait nous priver d’insectes et d’oiseaux, ce qui est largement le cas à présent. En 1972, le rapport Meadows (Les limites de la croissance) soulignait les dangers de la croissance économique et démographique à outrance et les risques d’épuisement des ressources naturelles, de surpopulation et de rupture énergétique. Nous y sommes. Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) évalue depuis 1988 les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine et nous alerte régulièrement sur les conséquences possibles de ce changement. Les supers-incendies, canicules et inondations de ces derniers mois sont bien au rendez-vous. L’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature) tient à jour la morbide comptabilité des espèces disparues et celles en voie de disparition. La 6ème extinction de masse des espèces est nettement engagée.
Nous pourrions évoquer aussi la récurrence des crises financières qui sont consubstantielles du capitalisme financier et le pouvoir sans limite imprudemment laissé aux GAFAM. Leurs impacts négatifs sur la majorité du corps social, leurs conséquences délétères sur la démocratie et nos libertés individuelles, le creusement des inégalités à des niveaux jamais égalés au cours de l’histoire de l’humanité, l’instabilité politique permanente, génératrice de guerres et de conflits sans fin, les entraves systémiques à l’émancipation des femmes... Nous pourrions renvoyer vers les innombrables tracts, brochures et publications du monde associatif, en particulier écologiste et altermondialiste, qui depuis des décennies a dénoncé ces dérives, averti de leurs conséquences et proposé des solutions alternatives crédibles.
Mais ce n’est plus dans ce monde-là que nous vivons désormais. La mondialisation est en état de mort cérébrale et nous en avons été éjectés à l’instant où elle a été percutées par la pandémie de COVID-19. Nous assistons, sidérés, à l’effondrement d’un second mur de Berlin, celui de l’économie capitaliste mondialisée, des traders arrogants. Avec lui disparaissent bon nombre de fausses certitudes, de fausses priorités et surtout les vraies causes profondes des problèmes socio-environnementaux évoqués plus haut. La libre-circulation des marchandises et des capitaux a vécu. La débandade boursière généralisée va entraîner une longue période de récession économique de laquelle nous ne pourrons pas sortir à un coût socialement acceptable. Car maintenant nous connaissons la suite, et pour une fois, la fin de ce scenario : renflouement des banques et des grandes entreprises, nationalisations temporaires puis privatisations à perte, délocalisations, austérité, réformes, insécurisation des populations, effondrement. Et nous le rejetons. Les économistes libéraux ont perdu l’oreille du peuple et des puissants pour longtemps. Les scientifiques les ont remplacés et chuchotent déjà d’autres scenarios plausibles, fondés sur le bon sens de la société civile, l'observation du vivant. Rien ne sera plus jamais comme avant car rien ne pourra exactement fonctionner comme avant.
Certes, les blessures occasionnées par l’humanité à l’environnement sont sérieuses et mettront des siècles à guérir. Mais ces stigmates, aussi profonds soient-ils, s’effaceront progressivement. Cultivons le souvenir de ces années de développement mortifère, de comportements indignes, sans nostalgie et avec lucidité, comme nous éduquons nos enfants en convoquant le souvenir douloureux de la barbarie nazie, afin qu’elle ne revienne jamais. Nous n’avons plus besoin de faire « contre » le système, de lutter, d’alerter et de sensibiliser nos concitoyens. Car la démonstration a été faite de son extrême fragilité et de son incapacité à nous apporter un bonheur partageable et un progrès durable. Il nous suffit de les encourager à faire « avec » les vestiges de ce système et surtout différemment. Comme faire avec la silhouette d’un blockhaus échoué sur une plage, une friche industrielle, une gare désaffectée, une borne antique sur le bord d’un chemin. Faire avec les virus circulants, les sols pollués, les mers souillées, les services écosystémiques dégradés. Faire avec les conséquences visibles et invisibles d’une folie collective qui en quelques décennies a failli causer notre perte. Faire enfin avec les morsures rageuses que nous occasionnera encore, et pour longtemps, une irréductible Nature que certains ont cru pouvoir soumettre.
Sébastien Moreau
[1] https://www.atlantico.fr/node/3586834
[2] Vicarelli G. « En Italie, la dureté des mesures restrictives tient à la fragilité du système de santé ». Le Monde, 12 mars 2020.
[3] https://www.lefigaro.fr/sciences/comment-la-france-se-prepare-au-virus-chinois-20200121
[4] https://www.cnrtl.fr/definition/irr%C3%A9ductible
[5] https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-15339-fr.pdf
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Probl%C3%A8me_de_l%27%C3%A9chiquier_de_Sissa
[7] Anderson RM, Heesterbeek H, Klinkenberg D, Hollingsworth TD. How will country-based mitigation measures influence the course of the COVID-19 epidemic? Lancet. 2020 Mar 9.
https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2820%2930567-5
[8] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_16_mars_2020.pdf
[10] Wu, Q. et al. Altered lipid metabolism in recovered SARS patients twelve years after infection. Sci. Rep.7, 9110 (2017).
[11] Zheng YY, Ma YT, Zhang JY, Xie X. COVID-19 and the cardiovascular system. Nat Rev Cardiol. 2020 Mar 5.
[12] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_Dasri_BD.pdf
[13] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.09.20033217v1.full.pdf
[14] https://www.fsdl.fr/wp-content/uploads/2020/03/00_Protocole_covid19_covid19_stade3_01.pdf