01/06/2020 - Libération: "Quand on vise le zéro déchet, ça frise un peu l'obsession"
Revue de presse – dimanche 3 janvier 2021
Photo Emmanuel Pierrot pour Libération
Chaque mois, Libération creuse une thématique environnementale. Après la chasse, le ski, et la biodiversité, quatrième épisode, la sobriété est-elle notre futur ?
«Il n'y a que la crise sanitaire qui m'a poussé à produire plus de déchets.»
De l'autre côté de l'écran, Sébastien Moreau, 45 ans, a le sourire en coin et l'optimisme des beaux jours. Malgré les contraintes imposées par deux mois de confinement et la lutte contre l'épidémie de Covid-19, cet habitant de Nouâtre (Indre-et-Loire), à une trentaine de kilomètres de Tours, n'a toujours pas rempli un seul sac-poubelle. Et ce, en presque sept ans. «Depuis le 17 août 2013, j'ai réduit mes ordures ménagères de 99%, affirme ce biologiste des organismes, figure de proue du mouvement «zéro déchet» dans la région Centre-Val-de-Loire. Au début, je pensais que je tiendrais jusqu'à Noël avec un sac-poubelle : après ce pari personnel, je n'imaginais pas que je continuerais encore aujourd'hui à utiliser le même.» Pour y parvenir, le fondateur de l'association Zéro Déchet Touraine a de fait changé ses habitudes de consommation et son mode de vie. Radicalement et en quelques mois. «J'ai commencé par le plus facile : éliminer tous les déchets d'emballages liés à l'alimentaire, explique le scientifique, promoteur d'un composteur à partager pour mutualiser les biodéchets. Mais j'ai aussi été obligé de réduire ma consommation en amont, de ne rien changer tant que je n'avais pas d'alternatives et de faire beaucoup d'essais notamment pour fabriquer de façon artisanale mes propres produits ménagers.»
Vrac et sacs en tissu
Une démarche réservée aux initiés ? Depuis une petite dizaine d'années, l'idée qui consiste à diminuer drastiquement ce que l'on met au rebut séduit en réalité un nombre croissant de Français soucieux de leur empreinte écologique - en moyenne 580 kg de déchets par an et par personne. A tel point que le zéro déchet, popularisé par la Française installée aux Etats-Unis Béa Johnson, se décline désormais en autant de groupes Facebook, blogs, livres et films à succès ; tandis que le concept se voit par ailleurs plébiscité par les collectivités, à l'instar de la ville de Roubaix ou de Besançon, qui y voient un levier pour réduire la quantité annuelle d'ordures à ramasser. «Depuis quelques années, c'est presque tendance de ne produire qu'un bocal de déchets par an, souligne Célia, 40 ans, coach en "transition éco-altruiste". Moi j'ai commencé à vouloir tendre vers le zéro déchet il y a une quinzaine d'années quand j'habitais à Paris. Nos poubelles d'immeubles débordaient d'ordures, malgré les bacs de tri : je me suis dit que je pouvais faire un effort pour essayer de consommer différemment.»
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Aujourd'hui résidente d'un petit village de montagne, en Haute-Savoie, cette journaliste indépendante a d'abord commencé par faire ses courses avec des sacs en tissu, puis en vrac, jusqu'à privilégier le 100% bio en dehors de la grande distribution. Elle est aussi devenue végétarienne et pousse la logique du zéro déchet jusqu'au bout, en arrêtant totalement d'acheter du neuf. Et a choisi de quitter la capitale. «Quand on vise le zéro déchet et la sobriété, ça frise un peu l'obsession. J'essaye par exemple de ne pas exposer ma fille aux publicités sur les écrans, poursuit cette ex-collaboratrice europarlementaire. Mais mes sentiments sont très ambivalents : parfois, je ressens de la frustration à me dire que les petits gestes ne suffisent pas. Changer quelques habitudes de consommation, ce n'est pas très radical et je pense qu'il faut un changement total de paradigme pour laisser une planète respirable à nos enfants. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu'il faut arrêter de le faire et renoncer.»
«Rejet de la société de consommation»
Ce désir de «sobriété heureuse» est partagé par Manon, 28 ans, installée depuis deux ans dans la campagne rennaise avec son compagnon. «Je sais que je vais dans le bon sens. Je n'ai aucun doute car réduire mon empreinte en termes de déchets et de carbone est un mode de vie dans lequel je m'épanouis, plaide la néo-Bretonne. De toute façon, on n'en sortira que par une réduction des déchets car le recyclage n'est pas une solution en soi, c'est un moindre mal.»
Florian Bardou